Ah ! Bah !
Peinture à l’huile sur toile contrecollée sur carton fort, rehaussée d’acrylique. Traces de fusain noir. Hauteur : 54 cm. Largeur : 80 cm. Signée Roberdhay en haut à droite et datée : 1946. Le titre est écrit à la peinture noire en haut à gauche : ah ! bah ! Au verso, le titre est répété : Ah ! bah !, ainsi qu’une signature, stylisée, avec la date.
A droite, la double interjection des lettres entremêlées forme une palette d’artiste, semble t’il. On a peine à croire que l’artiste veut exprimer l’indifférence envers sa palette de peinture ou l’insouciance envers l’art et ses couleurs chatoyantes. Au contraire, l’utilisation de la double interjection marque un vif plaisir, et une joie de vivre peu commune, mêlés à une certaine déception que, malheureusement, la vie nous réserve sans qu’on l’ait voulue ou appelée.
Là, toute la toile insiste, non sur la perplexité, à laquelle, parfois, l’existence nous soumet et nous astreint, mais sur la joie indicible et la surprise merveilleuse exclamées par les ronds bariolés, cependant harmonieux, qui s’envolent dans les airs comme les bruits d’une conversation, et aussi les traits saccadés du plat du pinceau, aléatoirement jetés à travers la toile, la minutie du contour des lettres : un arc-en-ciel des plus vives couleurs soulignées par des lignes noires ou par les contrastes des complémentaires. D’ailleurs, les points d’exclamation produisent sur les lettres un réflexe, une émotion, un sentiment que la parole, avec tous ses mots, n’arrive pas à décrire. Il s’agit donc bien d’un cri d’espoir. Et pour paraphraser Valéry : Parfois, la parole, se produisant comme conséquence immédiate, a l’insignifiance et la valeur d’un réflexe, comme on le voit dans cette exclamation de la toile.
Boléro héros
Peinture à l’huile sur papier vélin supérieur à gros grain, marouflée sur papier de plus grand format, collée sur toile. Hauteur : 73 cm. Largeur : 93 cm. Signée Roberdhay en bas à droite et datée : 1946. Titrée sur la traverse : Boléro héros.
Le titre est répété, à l’endroit comme à l’envers, trois fois, comme un danseur espagnol tourbillonne dans son mouvement. La danse du boléro à trois temps est induite dans les B les uns sur les autres qui forment une architecture modulée en trois volumes. De plus, le corps de la lettre majuscule forme, avec sa hampe, le danseur bien droit, et, avec ses deux rebonds, un 3; il rappelle les trois temps de cette danse dont le Boléro de Ravel est l’œuvre la plus connue et la plus populaire dans le monde entier. Mais a-t-on jamais vu quelqu’un, une fois dans sa vie, non pas entendre mais danser le Boléro de Ravel ?
Roberdhay l’a entendu à l’âge de onze ans en 1928 lorsque Ravel écrivit cette musique pour Ida Rubinstein qui lui avait demandé une musique de ballet pour ses spectacles : « Une danse d’un mouvement modéré et constamment uniforme, tant par la mélodie et l’harmonie que par le rythme, ce dernier marqué sans cesse par le tambour ; le seul élément de diversité est apporté par le crescendo orchestral. » Mais il aurait dû ajouter qu’il entend intéresser le spectateur, l’auditeur, par un constant renouvellement de la couleur dans l’ingénieux agencement des dix-huit séquences qui reprennent le thème sans aucune modulation, sans même un changement de tonalité, sauf dans les dernières mesures. Le thème est fait d’une section mélodique où jouent flûtes, clarinettes, haut bois, trompettes, saxos et violons, et d’une section rythmique égrenée par le tambour.
D’une façon quasiment mathématique, Roberdhay a voulu inscrire le boléro par des ronds, et qui rappellent que son étymologie vient du mot boule. Dix ronds centraux mais dispersés à travers la toile, plus un rond général qui les englobe tous, sont comme les notes d’une musique colorée et intense dont le rythme s’insinue en nous et provoque un choc semblable au courant qui parcourt tour à tour tous les éléments en contact. Il a développé le mot et en a formé deux : boléro, héros. Sur le bord de la toile, replié après l’encollage sur la toile, et qui figure donc maintenant par derrière, une onomatopée o é o formée par les voyelles de boléro, une fois l’une sur l’autre, une fois l’une à côté de l’autre. Le plus surprenant c’est que la ghématria, l’équivalence numérique, du nom en hébreu de Roberdhay, חי, et qui figure dans le hay de Roberdhay, est de 18, comme le nombre de séquences du Boléro de Ravel. Et avec un peu d’effort, l’on peut discerner dix-huit fois la lettre B, la médiane de son prénom, qui, vraiment, préside dans cette toile.
Boxe
Peinture à l’huile sur toile collée sur carton fort de dimension supérieure. Collage de coupures de magazines. Jets de peinture. Hauteur : 60 cm. Largeur : 73 cm. Signée Roberdhay en haut et datée : 1946. Au dos, le titre : Boxe, R 1946. « Les mots »
Le titre Boxe compose le tableau et il est conjugué dans toutes les sortes de lettres, à l’endroit et à l’envers, tel ce boxeur sur l’estrade, ivre de coups à la tête qui le font ressembler à un bœuf. S’agit-il de ce boeuf exécuté par les toréros dans l’arène ? Dans le mot Boxe, le mot œuf apparaît : B parce que Bœuf, ou plutôt BB oeuf. Et les gants de boxe empêchent énormément de casser correctement un œuf, de traire une vache ou d’alimenter un bœuf, ou un bébé œuf. Peut-être aussi parce que les gants de boxe sont en forme d’œuf, comme c’est le cas d’innombrables formes dans le monde.
Les lettres de la signature en relief de l’artiste sont comme des spectateurs assis devant le ring. Un jet de peinture représente un X, lettre intérieure de boxe et de réflexe, et qui barre aussi tout le tableau à ses quatre coins, comme si c’était un appel à interdire ce soi-disant sport de combat qui dégrade un des adversaires devant les yeux haineux des spectateurs ou bien cet autre sport qui consiste à saigner un bœuf domestiqué, mis à mort honteusement devant des humains à mentalité sauvage émerveillés. Dès lors, on se rend compte que le gant de boxe, seule représentation figurative d’image du tableau, donne un coup ravageur au mot boxe qui vole en éclats de mots éparpillés, de signes éclatés et de lettres bousculées !
Casse-tête chinois
Peinture à l’huile sur papier vélin supérieur, marouflée sur toile. Collages de coupures de journaux et de magazines, de bas de femme. Hauteur : 73 cm. Largeur : 116 cm. Signée Roberdhay en bas à droite et datée : 1946.
Le titre figure en haut à gauche : casse-tête chinois, un jeu de combinaisons de pièce en bois et ici, un jeu d’images imbriquées en négatif et en positif, de techniques mixtes et de peinture.
Une femme nue pose au centre découpée dans une revue dont le contour figure à droite de la toile, en ombre chinoise. Elle semble sortir comme un bon génie de la lampe chinoise allumée par en dessous. Elle est la cible figurative que quelqu’un a trouée de plusieurs lancers de fléchettes. D’ailleurs un genre de diable chinois en noir se profile par derrière elle et semble vouloir la protéger ou l’aider ou la menacer, comme on en voit dans les processions des fêtes chinoises. A gauche, un badigeon de colle au plâtre blanc retouché légèrement à la peinture noire sur ses reliefs fait apparaître un corps de femme nue, comme le pendant de celle du centre et encore comme une ombre chinoise. Il n’y a pas qu’elle en ombre chinoise mais plusieurs y figurent : une femme accroupie en bas, une chinoise avec son fardeau à gauche, une troupe sur une scène, un profil de femme. Bref, le monde entier est en ombre négative sur positif, jusqu’à la signature de Roberdhay, blanche sur noir, sauf les enseignes chinoises des lampes extérieures des magasins chinois que l’on voit à droite.
La Chine est un véritable casse-tête, c’est la seule civilisation qui repose sur une spiritualité, bouddhisme, taoïsme, hindouisme etc., sans avoir jamais entendu parler de l’espérance d’un messie et qui est entièrement dévouée à la Nature sans aucune croyance. Dites-moi si je me trompe. Vivre en Chine c’est s’y fondre comme une ombre dans son noir ou un casse-tête dans son chinois ou chinois sans son casse-tête.
Chemins verts
Peinture à l’huile sur toile à l’origine, marouflée sur papier vélin de dimension supérieure, contrecollée sur une toile, rehaussée d’acrylique. Collages de coupures de magazines. Hauteur : 73 cm. Largeur : 92 cm. Signée Roberdhay en bas à droite et datée : 1946. Au dos, un carton a été glissé pour renforcer la toile et indique un titre : « Nymphes aux charmes désuets – à la carte des chemins… » Roberdhay 1946. ; ainsi que : « pour la petite histoire, la carte qui forme la lettre H de chemin provient d’un emballage de côtelettes de chez mon boucher de l’époque) (sic). » Sur la tranche du tableau, c’est-à-dire dans son épaisseur, un titre : « Chemins verts ».
Le titre est inscrit dans le tableau et le forme avec ses circonvolutions qui cheminent à travers le champ de la toile, au gré des lettres. Une carte dessinée à la main, selon les moyens de l’époque, avant l’ordinateur et le graphisme électronique, forme la lettre H de chemin, comme une carte que l’on déplierait et qui formerait une lettre H selon ses plis. Il s’agit bien d’un tableau de la Scripte-Peinture, le Lettrisme de l’époque, mouvement auquel il adhéra et aidera jusqu’en 1964. 46-64, avant de créer le Pêle-Mêlisme. Nous sommes quelque part sur la route de Méditerranée, dans les environs d’Aix-en-Provence. Deux nymphes encadrent le titre : tous les chemins mènent à l’amour de la femme, de son prochain, de l’univers, de Dieu, depuis le début jusqu’à la fin.
A droite un jeune homme, à bicyclette, souriant à la vie de toutes ses dents, essaie de rejoindre la ferme et ses poules à gauche, à travers les chemins verts. Gare en chemin aux femmes-fantasmes, aux délires et aux dérives. Le choix des couleurs n’est pas fortuit, claires à l’extérieur, sombres à l’intérieur. Les chemins sont parfois longs et courts et d’autres fois courts et longs : il appartient à l’homme de choisir ses voies qui le mèneront à bon port, selon son libre arbitre, parfois avec des efforts sans fin, de la douleur, et d’autres fois avec facilité mais aussi ténacité, patience et longueur de temps. Une rue à Paris s’appelle la rue du Chemin Vert du côté de la Bastille, c’est sans doute le chemin qu’ont emprunté les révolutionnaires fous de Liberté de 1789 pour réduire en poudre les murs épais de cette prison exécrée dont on voit encore quelques traces, dans le Métro principalement, et même dans les mentalités et les sociétés dites modernes. Peu importe ! A nous les chemins verts de la Nature et de la Vie !
Cocktail de lettres
Peinture à l’huile marouflée sur toile à l’origine, puis sur un carton de dimension supérieure. L’artiste a construit un cadre en bois peint. Hors cadre : Hauteur : 65cm. Largeur : 54cm. Avec le cadre : Hauteur : 80cm. Largeur : 68cm. Signée Roberdhay en bas à droite et datée : 1946. A gauche, le titre au crayon, avec une explication : « Cocktail de lettres. 1ère peinture R. 1946. Chaque mot ou lettre évoque une image, l’ensemble aussi délectable qu’un Larousse. » Il s’agit bien d’un ensemble de lettres éparses imbriquées qui forment une fusion plastique où sont évoquées des lettres majuscules et minuscules, comme autant de particules alphabétiques qui fondent les éléments nouveaux de la représentation picturale : A, Y, Z, O, R, S, Se, V, 17, 46 ; et des mots prennent vie tels que : cocktail de lettres, Arts, Farce, Nature, Verte, Mer, Mature, Sûre, Yes, Vie.
Le tout forme une peinture lettriste qui a été exposée aussi en 1964 à la Galerie Stadler dans le cadre de l’exposition de groupe du mouvement lettriste : Lettrisme et hypergraphie. La photographie de cette peinture apparaît dans l’opuscule Lettrisme et Hypergraphie, à la page 13, de BibliOpus des Editions Georges Fall, achevé d’imprimer en janvier 1972, dont les auteurs, eux-mêmes lettristes, sont Gérard-Philippe Broutin, Jean-Paul Curtay, Jean-Pierre Gillard, François Poyet. Ils écrivent à la page 8 de l’introduction : « Les premières expositions de toiles ‘d’écriture plastique’ eurent lieu à la Librairie de la Porte Latine dès 1946 avec Isou, Pomerand, Guy Vallot mère et fils et Roberdhay. »
Au verso, en majuscules, au feutre : Roberdhay. Une étiquette : Réf 101 K, R.Dhay. Toujours au verso, imprimées en noir, au stencil, sont collées trois pages 21×29,7, dont une, en haut, de couleur orangée, est le deuxième feuillet d’un tract : Petit historique du Lettrisme Pictural à l’adresse des critiques d’art et des marchands de tableaux, une sorte de témoignage de l’artiste sur son œuvre lettriste. Les deux autres par en-dessous, sont un article de Roberdhay paru dans Poésie Nouvelle : La Dictature Lettriste de Maurice Lemaître.
Voici un succinct extrait du premier feuillet : Roberdhay, « Cocktail de lettres »
« …Au matin de cette nuit-là (où l’artiste rêve de paysages de son enfance, de son abécédaire, des hiéroglyphes des cartouches égyptiens, des symboles et des graffitis épars sur les larges murs de son quartier) la première peinture calligraphiée était née : « Cocktail de lettres » particulièrement significative de cette manière, neuve de recherches et lourde d’expression. Du moins, je le pensais et si cela ne ressemblait plus à la peinture de genre ou d’histoire (car je me plaisais tout jeune aux formats immenses, grouillants de chevaux et de personnages) que je faisais, du moins c’était, par la technique, même aussi vivant. Cela vibrait étrangement dans la pénombre de ma chambre d’hôtel tel un champ de blé, curieusement abstraite et concrète à la fois. De nouvelles moissons célébraient littéralement la vie. Et cette peinture a longtemps été exposée, avec d’autres, à la librairie – galerie « La Porte Latine » dont le co-directeur était M.-J.B. Caillens, aujourd’hui directeur artistique adjoint à la galerie Marcel Bernheim. Il peut vous le dire et la foule qui s’en venait les voir… »
Continuité
Peinture à l’huile et acrylique sur papier vélin supérieur collée sur carton fort de dimension supérieure. Collage de peinture sèche agglomérée, d’un bout de crayon, de fil de fer, de branches de palmier-dattier avec dattes de marque « Déglet-Nour », de caractères typographiques en plomb fondeur sur une baguette en bois clouée par derrière, d’un poème écrit sur carte gainée d’un bas de femme, de coupures de magazines. Jets de peinture. Hauteur : 73 cm. Largeur : 100 cm. Signée Roberdhay à droite et datée : 1946. Au dos, on voit le début et la fin du fil de fer, les clous qui fixent la baguette en bois et le titre : Continuité 8 infinie, Roberdhay 1946. Et une inscription : Des mots, des bribes, des tableaux-poèmes, et puis aussi…
Le titre est au centre souligné au-dessous par une grande flèche comme pour indiquer la direction ou l’orientation, le cheminement d’un poème, le pèlerinage de la vie :
Continuité
de la vie
Cercle magique des saisons
Perfections
L’herbe multiplie sous nos pas
Passions
Continuité
Générations à veau l’eau dans les âges
Soleils
Rythmes et cercles
Réalités.
Une baguette de bois en travers est fixée, des branches de dattes avec trois dattes sont collées dessus avec un huit de fil de fer, et des caractères en plomb reprend le titre comme un leitmotiv : continui, et dans les branches de dattes : té. Au dessous de la baguette, de nombreux yeux, les uns au dessus des autres, fixent le mot-clé et le poème, des mains étreignent des épis de blé et un jeune bébé tout frais est déposé dans les mains maternelles : ces images indiquent une transmission de la vie, une Tradition événementielle, générationnelle et existentielle. A droite une galaxie dessine sa trajectoire en spirale de 8, ou bien un S serpenté, une Voix lactée dans l’Univers infini. A.B.C., tout recommence du début de l’alphabet. On chercherait en vain un visage, une forme figurative ou narrative de la réalité, car l’œuvre traduit une vision qui appartient au présent mais qui est imprégnée de nostalgie pour le passé avec l’utilisation de la calligraphie, des phrases écrites, d’un poème, des lettres de l’alphabet comme partie intégrante de la structure picturale.
L’art de Roberdhay est devenu plus qu’une vision, il a adopté une écriture, et plus qu’une écriture, une lecture, une lecture de son âme, la notion qu’une peinture raconterait une histoire, une aventure de la nouvelle forme picturale de « l’Ecole du Signe » qui contient l’essence des structures d’aujourd’hui et la vision de lendemains qui chantent.
Des joies et des… Jours qui chantent
Peinture à l’huile sur toile contrecollée sur carton fort. Jets de peinture directs du tube. Hauteur : 55 cm. Largeur : 38 cm. Signée Roberdhay en bas à gauche et datée : 46. Un autre 46 apparaît en haut à droite en gros chiffres aux contours d’orangé et de vert. Au verso, le titre est écrit au fusain noir et signé Roberdhay avec la date 1946 très stylisée.
Revenons au recto : le titre est le sujet même de la toile et les lettres du titre s’élancent en volutes, s’interfèrent et s’entrecroisent dans une plasticité propre à Roberdhay, sa compréhension et son commentaire du Lettrisme. D’ailleurs le titre n’est sans doute pas complet, seules quelques lettres dévoilées le suggèrent et d’autres lettres se cachent et sont occultées. Un autre mot incomplet apparaît au centre : joie, ou bien clé, ou bien école, ou siècle, surmonté d’un panneau ou d’un oiseau ou d’un clé de musique ou d’un mélisme. La toile est de petites dimensions et le regard ne se perd pas dans la volubilité et le foisonnement des autres toiles plus grandes de l’artiste, il en ressort une certaine tranquillité; mais à la vérité de quoi s’agit-il ? On serait en peine de trouver là du figuratif à part évidemment, comme à regret, le dessin des lettres !
Des ronds de couleurs vives sont crantés comme des cadrans de montre et égrènent le temps : les joies et les jours sont mesurés dans le temps même s’ils chantent. Il vaut mieux qu’ils chantent plutôt que de s’ennuyer. Mais avec le Lettrisme, nul ennui, tout est neuf et tout jubile. Un début d’engrenage entoure un rond vert-vif. Un patchwork aux multiples couleurs occupe le fond à gauche et un oiseau, moineau, pigeon ou merle chante sa joie en face de la signature en bas à droite. Le tout est cerclé d’une circonférence où apparaissent de grands C de diverses couleurs, et barré d’un grand X noir. L’atmosphère est intimiste : les tons sombres alternent avec les vifs et malgré la relative ancienneté de l’œuvre, ils gardent toute leur fraîcheur comme si la joie les avait sauvegardés et les jours qui se suivent n’avaient pas altéré leur jeunesse.
Entrelacs, images de France
Peinture à l’huile sur papier vélin supérieur, marouflée sur toile. Collages de couverture de magazine, de coupures de magazines, de dessins à l’encre noire d’imprimerie. Hauteur : 73 cm. Largeur : 92 cm. Signée Roberdhay en bas à droite et datée : 46. Au verso, un carton a été glissé dans le cadre, avec le titre : Entrelacs images de France. Roberdhay 1946. Un autre titre barré : Volutes et entrelacs.
Une peinture à l’huile où figurent les mots « Tours et détours à travers la campagne », comme dans un chemin de traverse avec ses tournants, ses carrefours et ses bifurcations, et même la signature, ainsi que la date, participent au tableau. Un champ de fleurs, une borne kilométrique à 18 kilomètres d’Annecy et 4,8 kilomètres d’Albi, villes de France, des volutes de mots et des entrelacs de lettres, de dessins à l’encre noire d’imprimerie indiquent que nous sommes en pleine campagne, dans un champ ou sur un chemin forestier qui donne sur une clairière. Les dessins noirs à l’encre typographique d’imprimerie sont habités par une foule hétérogène de signes, de géométries, de personnages qui dansent la farandole, main dans la main. Une couverture de l’ancien magazine Plaisir de France, réduite à sa plus simple expression, est imbriquée comme un curseur dans la toile. Les mots et le dessin des lettres laissent une impression fraîche de verdure et de nature verte où il fait bon de gambader avec joie.
Le Lettrisme trouve ainsi dans le dessin des lettres, de la parole écrite, et dans les idéogrammes cognitifs du sauvage qui précède l’écriture, des éléments ancestraux de la communication visuelle.
Espoir
Peinture-Poème à l’huile sur toile, rehaussée légèrement par de l’acrylique. Pour consolider la toile, un carton fort a été glissé dans le cadre, par derrière. Hauteur : 65 cms. Largeur : 81 cms Signée Roberdhay en haut à droite et datée : 46, 1946.
Le mot Espoir est conjugué de plusieurs façons, dans divers styles de caractères, comme un exercice de style du peintre en lettres que fut Roberdhay. En haut à droite le début d’un poème avec un P damassé d’un jeu d’échecs ainsi qu’un I à droite avec son point sur le i comme une peinture abstraite des ronds de Delaunay. Essayons de déchiffrer ce poème. Vite découragé, l’amateur de poésie et d’art que nous sommes relève cependant quelques bribes : Espoirs phosphorescents, le jour des jours quotidiens – pleins, etc. que celui qui reconnaît ce poème se fasse connaître. Nous avons au milieu un cheval à buste de femme : l’espoir de voir la bête sauvage humaine se transformer en être digne de ce nom. Un couple accourt vers nous, plein de sourire et d’énergie renouvelée. La poésie lettriste est un espoir pour l’humanité et peu importe si le poème n’est pas lisible, puisque c’est de peinture dont il s’agit et la peinture lettriste n’est pas du recopiage de mots sur la toile.
C’est ainsi que des olives apparaissent, symboles d’espoir elles aussi, à côté d’une spirale du temps qui passe et qui jette le monde dans l’agonie éternelle. Mais l’espoir grise, au souvenir d’un lendemain tranquille et gai comme au temps de la création de l’étoile qui vit poindre le jour des jours quotidiens – pleins.
Graphie – Graphes sur Graves
Peinture à l’huile, rehaussée d’acrylique et collée sur papier vélin Graves, marouflée sur toile. Collages de coupures de journaux et de magazines, de bouts de ficelle en fibre de lin employée en imprimerie typographique pour attacher les caractères en plomb. Hauteur : 70 cm. Largeur : 100 cm. Signée Roberdhay en haut à gauche et datée : 46.
Le titre apparaît dans l’épaisseur de la toile sous le tableau, par en bas : Graphie –Graphes sur Graves, et la signature Roberdhay, 1946. Sur la toile aussi, sous la Renault à droite, on distingue : (Graphie). En fond, une toile collée représente une personne en robe longue et noire, un bouquet de fleurs et derrière une femme allongée, aux seins nus. Le tout est vivement bariolé de traits de peinture, vifs et saccadés, de ronds de couleurs vives sorties directement du tube. Tout autour de la toile, différents graphes sont collés et intégrés : Renault et sa toute dernière traction avant 6 litres, une pub de marque de parfums, Kodak dans un écran de ficelle enroulée et rattachée à la femme aux seins nus, du progrès humain, bleu impérial, Vent, A, Tropiques, etc. Des scènes où le féminin domine et les lettres font une timide apparition sans aucun rapport avec le contexte graphique mais seulement en état de gestation graphique par rapport à la représentation générale figurative et narrative.
La structure première : l’intimité du centre de la toile n’est pas dérangée par l’enrichissement adjacent : les graphies extérieures, tapages publicitaires périphériques, mais qui font pourtant partie « des meubles » urbains parisiens et participent à l’ambiance générale, par contraste. Il y a donc deux sortes de femme : les intérieures au centre de la toile et les extérieures des graphies publicitaires, ou bien celles-ci et celles-là sont les mêmes, à différents moments de la journée et selon leurs rôles dans la société. Les éléments plastiques, les lettres, les signes et les graphies sont proposés à la peinture comme le sont les éléments figuratifs ou abstraits, les uns comme les autres ne sont jamais épuisés. Le mot Kodak est encadré par la ficelle : le fournisseur des photographes lui-même mis en prise photographique par la forme de la ficelle, de même que les femmes sont encadrées par les graphies tout autour. Nous sommes toujours tous attachés à autre que soi, l’humain n’est jamais seul.
Graphie Elévation
Peinture à l’huile sur toile, collée sur des feuilles d’encyclopédie de mathématiques et d’astronomie de format supérieur, marouflée sur toile. Collages de coupures de journaux et de magazines. Hauteur : 75 cm. Largeur : 115 cm. Signée Roberdhay au milieu en bas et annotée : graphie, ce qui nous donne le titre et la date : Graphie élévation, 1946.
Un autre titre figure en haut à gauche : Tarbouch, qui est une coiffure des Turcs ou des Grecs, un bonnet rouge orné d’un gland bleu ou noir, toute coiffe au-dessus de la tête étant une élévation de la personne au-dessus d’elle. Or nous ne voyons aucun dessin de tarbouch si ce n’est des graphies du mot élévation en hauteur et en spirale, de la gauche vers la droite. Une silhouette de femme fait le saut de l’ange avec le L qui sert aux deux graphies du mot. Tout se passe dans la tête semble dire les feuilles de maths et d’astronomie ; en tout cas dans l’intellect.
La peinture des lettres c’est le Lettrisme par le peintre en lettres. Voici un texte de Roberdhay, écrit dans les années 50 :
« La discipline plastique lettriste hypergraphique est née en 1946, au milieu des monstres et des déformations, des toiles faites à l’emporte-pièce ou tirées au cordeau. Pour Roberdhay, elle se voulait naissance. Naissance et reconnaissance du contenu poétique de notre monde à travers l’écriture baignée dans une spatialité attachante sans pour cela sombrer dans la littérature désincarnée ou la gratuité de l’art pour l’art. Et quel signe exprimerait-il le mieux le dynamisme universel sinon la lettre, scripte ou manuaire, calligraphique ? La lettre, selon le classement de Maximilien Vox, ou ses composites : les mots aux structures immuables. La lettre, terme et expression de l’évolution humaine. Oui, les mots, noirs comme des gouffres ou longs comme des pattes de sauterelles, étalant leurs paraphes, l’universalité de leur communication dans une sorte de géographie indéchiffrable. Les mots, progressions spiralées, tachées de couleurs, coulées de laves s’inscrivant dans un complexe graphique idéal, sur un nouveau véhicule.
Pour Roberdhay, c’est le chevalet. Une sorte d’écriture libre entraîne le signe jusqu’à exacerbation de sa ligne de force. Et ce nouveau support plastique devait répondre à nos recherches : la lettre aux multiples variations, la lettre pudique dans son graphisme contenu, mutilée comme la Victoire de Samothrace ou bien déchirée, ouverte comme une blessure charnelle, portant la marque graphologique et affectueuse de la main de la personne. La lettre était chargée pour les peintres lettristes de redonner à l’homme le goût de l’homme, d’établir un équilibre fonctionnel, perdu par la guerre encore proche, la lettre que les artistes de l’époque semblaient ignorer et qui se complaisaient, avec une perversion démoniaque, dans le chaos et la provocation destructive.
Le goût des choses aurait retrouvé une dimension nouvelle stuquée de ce matériau simple : la lettre. Matériau simple mais constructeur, au même titre que la chaux, l’argile, la brique, le sable et, d’emblée, la peinture : une jeunesse. Depuis, son développement nous a donné raison : plusieurs années après nous, plus encore aujourd’hui, des peintres découvrent le charme envoûtant de l’alphabet, des mots, du signe calligraphique, des graffiti, des nouvelles graphies de caractères, des nouvelles fontes, toute reste encore à faire. »
Graphisme Elévation
Peinture à l’huile sur papier vélin supérieur à gros grain, marouflé sur carton fort. Collages de coupures de magazines sur la peinture grattée et poncée. Hauteur : 56 cm. Largeur : 69 cm. Signée Roberdhay en bas à droite et datée : 46. Titre en haut à gauche : Graphisme « (Elévation) ». Un autre tableau, plus grand, de la même série, porte le titre : Graphie Elévation.
Le titre lui-même compose le tableau et apparaît graphiquement deux fois : une fois avec des lettres fines et étroites qui montent de gauche à droite, les unes collées aux autres, l’autre fois avec des lettres grasses et carrées qui décollent comme un avion de son aire d’envol et qui sont imbriquées les unes aux autres. La lettre L fine se dédouble, comme une paire d’ailes elle bat le tableau dans son envol et forme un double V. Le graphisme des lettres, de nos jours, peut paraître emprunté et suranné, parce que nous avons, depuis, un choix infini de graphismes de lettres. Presque tous les jours, de nouvelles formes de lettres apparaissent, des fontes par centaines sont mises à la disposition du public. Mais en 1946, cela était plutôt rare et nouveau. Composer une toile avec uniquement le jeu des lettres, c’était même osé.
Ici, le mot même qui prend son essor engendre des vagues d’air, des tourbillons de vent soufflant qui atteignent les planètes. C’est dire que, pour l’ascension de l’homme, s’élever c’est se hisser au moins au niveau des étoiles, les sphères célestes. C’est-à-dire, à commencer par l’anéantissement du moi narcissique, l’effacement de tout égoïsme, savoir regarder vers le haut, vers ce qui est caché et non révélé. Ce mouvement personnel de l’homme activant son libre arbitre, se sublime et rejoint, en s’unissant étroitement à lui, le mouvement universel d’élévation; il est la réparation de l’intelligence et du discernement. Le verset de la Torah (Lévitique 19, 18) « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » était paraphrasé par Rousseau de cette façon : « L’ardent amour, en t’inspirant tous les sentiments sublimes dont il est le père, t’a donné cette élévation d’idées. »
Graphisme Sports
Peinture à l’huile sur toile à l’origine, marouflée sur papier vélin de dimension supérieure, contrecollée sur une toile. Collages de pages de journaux et de coupures de magazines. Giclures de tubes de peinture. Hauteur : 80 cms. Largeur : 100 cms. Signée Roberdhay en bas à droite et datée : 1946. Une première signature soulignée d’un trait, en blanc filigrane, sur la première toile originelle a été grattée : roberdhay. Au dos, un carton a été glissé pour renforcer la toile et indique : « Graphisme Sports, Roberdhay 1946 pour la toile centrale, 1948 pour le matage. »
Le titre est inscrit en haut à gauche, sous une couche de peinture bleu-clair qui la masque en partie : Graphisme Sports. Une femme joue au tennis : dans son service, elle prend la forme du S, avec sa raquette. On voit le terrain de sport dans la toile originelle marouflée : un filet est tendu en son milieu inscrit dans un P qui barre la toile. Plusieurs balles en mouvement de spirales sont dans l’air et dessinent les autres lettres de « Sports ». En bas, une course à pied ou une chasse avec des hommes qui courent. Un jeune homme joue du badminton et une femme lui répond. Des giclures de tubes de peinture soulignent les lancers des balles et les réponses de l’adversaire. Il n’y a d’ailleurs pas de compétition : l’adversaire n’apparaît pas dans la toile. Le sport doit se pratiquer pour lui-même et non pour gagner un challenge.
Le sujet de la toile, sports, est imbriqué dans le mot inscrit, peint en plusieurs couleurs, explicatif du sujet, et représenté comme participant au sport lui-même en tant que graphisme mais aussi dans l’action de la joueuse à la raquette. Il n’y a cependant pas réduction de la représentation du sujet aux simples lettres ou aux signes, mais ceux-ci participent à la scène du sujet, les sports, aussi bien comme éléments figuratifs et narratifs que comme signes de la cognition non-figurative, dans l’intellect universel. L’organisation formelle de la toile se base sur le matériel figuratif, ou sur l’objet de représentation obtenu par l’imitation de la réalité visuelle, c’est-à-dire la femme à la raquette en tenue de tennis, le filet tendu, les balles qui volent, mais elle se base surtout sur la connexion intellectuelle que le mot sports informe par ailleurs. Le rapport entre l’action sportive et les lettres peintes elles-mêmes s’établit en fusion sur la toile. C’est le Lettrisme à la façon de Roberdhay, son intelligence émotionnelle, de mêler les lettres, les signes, les mots, les représentations figuratives en faisant appel à des juxtapositions de matière et de notions, d’éléments tangibles et d’idées pour former un ensemble plastique : la toile peinte.
Image ine atif
Peinture à l’huile et acrylique sur carton fort, intégrée dans un carton fort de dimension supérieure. Collage de feuilles d’encyclopédie de mathématiques illustrée, de coupures de magazines. Hauteur : 73 cm. Largeur : 100 cm. Signée Roberdhay à droite et datée : 46, au-dessous du titre. Au dos, collage de pages de l’encyclopédie scientifique et une carte inscrite d’un autre titre : autrement dit : l’étudiant (e).
Le portrait de l’étudiant, doublé d’une tête de jeune étudiante par derrière, était le sujet de la toile originelle. Par la suite, il ya eu développement imaginatif du sujet avec les feuilles d’encyclopédie, le cuistot du restau des étudiants, d’un poème lettriste 1) à droite : vu ais vanaché, 2) à gauche : paké panaké vlache ! paré panache, des enfants qui jouent, d’une fille avec une poupée. Le collage au dos de l’œuvre des pages d’encyclopédie et du second titre sur une carte en fait une double action plastique de l’artiste, une deuxième toile non finie. Imagine hâtif. Image innée hâtive. Imaginée hâtivement. L’artiste a utilisé des lettres et des signes pour peindre les portraits : s, v, i, o, c, spirales, etc., accessoirement de tendance cubiste ou géométrique, et il s’est tourné ensuite vers le lettrisme. A cette époque, personne n’avait encore bien défini la plastique lettriste et il fallait bien peindre selon un style qui était encore neuf et à découvrir. Le trait, la forme, les signes, la particule et ses rythmes restent les expressions premières de notre domaine esthétique et leur transformation, leur unification par l’imagination artistique, doivent conduire à une progression, à une cohérence de cet univers, l’équipement n’étant pas, malgré tout, une dimension accessoire puisque finalement la toile en est le rendu final.
La valeur déterminante, principale de l’art plastique, ne sont pas les moyens techniques mis en œuvre. L’enrichissement de ce domaine, dû aux progrès scientifiques ou mécaniques, toutes ces valeurs impersonnelles, ne conduiront pas à un bouleversement de la peinture mais ce sont l’imagination, l’émotion et par-dessus tout l’intellect qui les dominent, valeurs personnelles, qui sont les valeurs déterminantes. L’intellect, l’émotion ou le sentiment, la volonté resteront les moteurs de l’action et lorsqu’ils sont unifiés en un même endroit, alors l’art s’élève à la sublimation, la transfiguration du monde matériel est proche. L’intelligence émotionnelle est déjà l’unification dans la personne humaine réussie de l’intelligence abstraite liée étroitement, en un seul faisceau, à l’émotion. Le sentiment, dès lors, n’est plus un vagabond à la dérive puisque l’intellect le conduit à bon port.
L’art et la foi sont très proches dans leur démarche, l’un va de bas en haut, l’autre de haut en bas. Cependant, à la source, l’appel à l’être, évidemment à l’être moral, interpelle ces quatre domaines distincts à s’unifier : l’intellect, l’imagination, l’émotion et l’action. Nous les rencontrons tous les quatre dans une œuvre d’art authentique. L’ensemble de l’outillage plastique possible, à portée de main immédiate de l’artiste, dépasse la matière qui le compose puisqu’il y a eu un supplément de sentiment, d’imagination et d’intellect et c’est le tout réunifié qui enclenche la transfiguration de l’action pour nous impressionner, dans nos émotions et notre esprit, et nous fournir une formule intégrale désignée par la toile du maître.
Immensité
Peinture à l’huile sur toile collée sur papier vélin de dimension supérieure, puis marouflée sur toile, rehaussée d’acrylique. Collages de coupures de magazines, de journaux, de dessins à l’encre d’imprimerie, d’un couvercle de camembert, de bas de femme. Hauteur : 75 cms. Largeur : 102 cms. Signée Roberdhay en haut à droite et datée : 46.
Le mot immensité est décliné plusieurs fois dans différents registres et divers caractères de lettres. Un dessin à l’encre noire d’imprimerie rempli le mot au milieu de la toile, où l’on voit un mot dans un genre de graffiti : immense, peut-on lire. Un artiste en forme de I du mot immensité par en haut, avec sa palette de couleurs, est à l’action sur une toile posée sur le chevalet de profil. Un cavalier de la Garde Impériale maintient sa course tout autour du tableau, au pas, au trot, au galop. Au-dessus du M, des visages, des bustes, des têtes, des lèvres, des fleurs, des lettres. A droite, sur une plage, des chevalets sont posés dans un paysage infini, en abîme. Et une bouteille avec son message de nulle part est échouée sur la plage, là où les chevalets sont en attente de terminer leurs toiles, ici une lettre E en calligraphie double et infinie, là un nu accroupi en admiration devant la mer immense. Mais cette femme est-elle dans la toile ou dans la réalité ? La lettre A est à l’honneur puisqu’elle débute le mot art, elle est conjuguée ici dans plusieurs styles. Le a minuscule est ce sein généreux d’où coule le lait et le miel, deux a minuscules forment le buste de la femme. Ou bien c’est la position de la femme accroupie du tableau devant la mer, la mère devant la mer. Le style c’est l’homme ou l’homme c’est le style ?
Une procession de personnages est en attente au-dessous du camembert et où se profile la Tour Eiffel par au-dessus. A l’origine la Tour Eiffel devait avoir quatre piliers droits mais à cause de la puissance immense des vents, il a fallu donner une courbure aux pylônes pour que la charpente métallique, trop rigide, échappât un tant soit peu à l’écrasement. Une femme, dans le plus simple appareil, trône devant des agapes posées sur une nappe à même le sol, devant un fleuve qui coule tranquillement et où se reflète la scène. Pourquoi dit-on en français : le plus simple appareil, quand on parle d’une personne nue ? Appareil, appareillage, parure, apparaître etc., sans aucun appareil c’est biblique. Deux pigeons roucoulent d’un amour infini. Une femme au buste s’échappe d’une fenêtre bleue ouverte entre les a minuscules du haut de la toile. Dans le corps du I du mot immensité, une bougie n’en finit pas de brûler. Là juste au-dessous, un Juif pharisien orthodoxe prie, recouvert de son Talith, le manteau du culte. Il tient en main le loulav et l’étrog, c’est-à-dire la branche de palmier et le cédrat de la Fête de Souccoth, en souvenir des Tabernacles construits dans le désert. A cette fête, une fois leur liberté retrouvée à la Sortie d’Egypte, la prière des Juifs est dite pour toute l’humanité, face à notre généreux Créateur qui nous prodigue tous les bienfaits.
Invitation au voyage
Peinture à l’huile sur toile, marouflée sur carton fort de dimension supérieure. Collages de coupures de journaux et de magazines, jets de peinture, bas de femme. Hauteur : 73 cm. Largeur : 116 cm Signée Roberdhay au milieu à droite et datée : 46/47. Au dos, un titre inscrit sur le carton fort : Tahiti, Roberdhay 1946. Puis une carte avec un deuxième titre et une explication : Invitation au voyage, Roberdhay 1946. Puis 1948, cette toile dans son contexte principal a été exposée de longs mois pour la première fois en 1946 à la librairie-galerie La Porte Latine.
Le titre apparaît plusieurs fois, dans des volutes de caractères, de fontes et de grandeurs différentes, et il compose le principal de la toile. Quelques représentations figuratives accompagnent le sujet, sans toutefois l’épuiser : un œil central dans un monocle, d’autres yeux, des fleurs, des femmes, un paquebot sur les flots, une calligraphie arabe découpée et collée sur fond de journal américain, des bribes de bandes dessinées, deux femmes dans le V de voyage, des lettres collées, un cheval qui galope de travers, une figure géométrique coloriée, en mouvement, qui vient des profondeurs, un idéogramme par en-dessous. L’invitation au voyage des lettres, c’est le parcours des pinceaux de l’artiste qui tracent les lettres du titre sur la toile, ainsi que de toute l’iconographie qui les accompagne. Le lecteur de la toile est tiré de sa passivité, de son oisiveté de spectateur et entre dans le jeu de l’écriture, il participe au voyage des lettres en lisant les lettres dans leurs envolées picturales.
Cette lecture est un geste politique car la liberté d’interprétation, à la suite de la lecture des mots, est aussi une liberté qui touche l’existence en général et, au-delà, tout ce qui touche aussi les références existentielles du spectateur. Même si le lecteur de la toile laisse échapper en grande partie les sens possibles de ce qu’il regarde et, nécessairement, puisque fixés par l’artiste, n’appartenant qu’à l’artiste, le lecteur n’y ayant aucune part, qu’il sache que la toile lui parle de lui et de sa propre histoire. Aussitôt la pluralité des sens possibles lui apparaîtra. Le lecteur saura que la toile lui apporte dans un langage codé, défini par les lettres, leur graphisme, leur mouvement, qu’il n’appartient qu’à lui de décoder, le souffle vivant, de sa vie la plus enfouie, la plus lointaine, ensevelie, éclipsée, implicite mais qui revient, explicite à la mémoire. Autrement dit qu’il n’y a pas, malgré la cristallisation de la toile, finie par l’artiste depuis plusieurs dizaines d’années, voire plus, un sens fixé à la lecture, que la vérité de son message est partout, chez celui qui la regarde en priorité, et nulle part, chacun y puisant ses références. Que chacun a le pouvoir de faire exister le sens, de décider du sens, en extrapolant ce qu’il voit sur la toile. Tout le problème est celui de l’authenticité et détenir les clés de l’interprétation authentique est un long apprentissage, une ouverture à…, un dénouement, une libération des nœuds qui font le mensonge.
La clé des champs
Peinture à l’huile sur papier vélin supérieur, marouflée sur toile. Collages de coupures de magazines, d’un dessin à l’encre noire d’imprimerie, d’une petite clé en métal, d’un gond à quatre vis, de la photo d’une carte Michelin et d’une loupe. Hauteur : 73 cm. Largeur : 92 cm. Signée Roberdhay en bas à droite et datée : 46-47. Au verso, un carton a été glissé dans le cadre, avec le titre : La clé des champs. Roberdhay 1946.
Une peinture à l’huile où les mots « La clé des champs » conjugués sur plusieurs perspectives la composent dans sa majeure partie. Une jeune femme gambade, ou danse, ou saute à la corde avec la carte Michelin numéro 85, Biarritz-Luchon, dotée d’une loupe où l’on voit les détails : nous sommes à Trie sur la Nationale 632 ! Une jeune femme nue pose sur le L de La clé, devant une autre femme en robe de fleurs des champs. Le C est une plante d’où pousse un arbre. Il y a des clés comme plusieurs fois le mot clé, en cerise à côté des œufs, dans le C, et une branche d’olivier, des volutes, des champs à l’infini en perspective droite ou de biais. Si l’on considère bien, on voit d’ailleurs les mots du titre la clé des champs qui s’ouvrent en leur milieu : comme une barrière pour entrer dans les champs. Ou pour en sortir. Entrer, sortir des lettres pour se fondre dans le paysage.
Cette barrière ouverte, c’est la clé des champs, l’espérance du bonheur, de la félicité mais c’est aussi le passage à la limite ou du passage à l’absolu. Détenir la clé des champs c’est passer à la limite ou passer à l’absolu, passer à la limite dans l’ordre de l’espace, de la grandeur spatiale et dans l’ordre du temps, au temps en général et à l’humanité dans sa totalité qui implique une transfiguration morale des hommes. La chimère du bonheur fuit perpétuellement à l’horizon de l’homme malgré le progrès technique qui lui apporte plus de confort et de civilisation ; et pourtant son bonheur reste toujours précaire et remis en question. L’homme n’atteindra le bonheur que lorsqu’il aura accompli tout son devoir, et l’homme ne l’atteint jamais car son devoir est infini et se reconstitue au fur et à mesure qu’il le fait. Dans la vallée du temps, les lettres nous ouvrent la barrière, la liberté est là qui s’offre à nous.
Lazzis
Peinture à l’huile marouflée sur carton fort peint. Collages de papiers et d’un dessin à l’encre noire d’imprimerie et à l’encre de Chine. Hauteur : 81 cm. Largeur : 60 cm. Signée Roberdhay en haut à gauche : 1946. Au recto, au fusain le titre est répété : Lazzis, avec la signature et la date. Un autre titre : La cage des mots. Signes LiLaLes. Une étiquette est collée où une explication est écrite : Palimpseste et membres de phrases au gré de la marche de l’éléphant…dans quelle brousse ?…celle du dictionnaire, mon enfant… Roberdhay 1946.
Le titre figure en haut à côté de la date : Lazzis, mot italien qui veut dire plaisanterie, quolibet, bouffonnerie ; c’était un genre de pièce comique de boulevard pour amuser le peuple, un vaudeville. Un éléphant harnaché d’un baldaquin déambule dans la jungle au pourtour du globe terrestre et où des personnes tiennent une conversation sur l’art et la vie. Des bribes de phrases sont encadrées dans des bulles de bande dessinée : Vous dîtes ? Je… Rien n’est jamais acquis… .Tout s’est fait ou tout est en train de se faire… L’art c’est l’éplucheur, le « point » originel, la coquille, le vent…ce qui « n’est » qu’à travers ce qui « est »… Encore que l’abeille, la fleur et l’olivier, l’huile et le miel, l’abeille, le pressoir…le pressoir. Conversations, conciliabules ou monologues en dynamique de groupe, tout est art et lettrisme et répondent aux sphères célestes, au globe terrestre suspendu à rien, sur rien dans l’univers. Des pages de couleurs vives rappellent les feuillets d’un écolier.
Le But
Peinture à l’huile sur toile, collée sur carton fort de dimension supérieure. Collages de coupures de journaux et de magazines, de poèmes imprimés sur papier. Hauteur : 73 cm. Largeur : 54 cm. Signée Roberdhay au milieu, datée 1946 et annotée en bas « Le But », Roberdhay, 1948. Au verso , le titre, la signature et la date, avec les mesures de la peinture.
Un centaure-femme se débat avec son propre mythe, tandis que de la signature roberdhay, dans un effet de clair-obscur, s’élève une volute de « la joie de vivre dans la lumière ». L’annotation : Soleil, soleil, soleil dans la marge à gauche, côtoie des Chroniques de la Résistance, avec des découpages en creux de roses où apparaissent des livres, des couples, la toile en réserve par en-dessous. A droite, les mêmes roses peintes en rose franc, en « positif » cette fois, et une énorme « joie » apparaît en relief. En haut, un fragment de poème de Tagore avec la traduction d’André Gide est collé : « Là où l’esprit est sans crainte et la tête est haut portée, là où la connaissance est libre, » c’est là certainement où l’on reconnaît le fils de l’Homme. En bas, un cavalier sur sa monture fait pendant au centaure apocalyptique et gambade au trot sur un parterre de roses, au travers de cartes postales représentant des bordures de lacs, vers « le But », autour de la Mer Méditerranée peut-être, « la joie de vivre dans la lumière ». Des rêves s’élève le paradoxe entre les mots qui se poursuivent et qui s’enfuient, qui se contredisent et s’accordent malgré tout. Malgré les bouleversements, les déceptions, les contrariétés, l’homme libre sait reconnaître, au-delà des obscurités des mythes, malgré les remarques bilieuses et épineuses de la femme acariâtre, la beauté toute simple de la joie de vivre « car vois-tu, chaque jour, je t’aime davantage; aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain »
La peinture des mots c’est le Lettrisme, par le peintre en lettres. Derrière les réalités figuratives changeantes et contingentes, les lettres immuables indiquent, selon le trait du pinceau de l’artiste, leurs messages emplis de connaissance et de signification.
Les deux frères
Peinture à l’huile sur carton fort collée sur pages du magazine Historia, marouflée et intégrée dans du carton fort de dimension supérieure. Collage de coupures de journaux et de magazines. Hauteur : 73 cm. Largeur : 100 cm. Signée Roberdhay en haut à droite et datée : 46/49. Au dos, le titre : Les deux frères ou L’homme tranquille (s’agit-il de Clemenceau, surnommé le Tigre, dont on voit la photo en haut de forme ?). 1946 pour la toile et 1949 pour le marouflage.
Un portrait double et très sombre d’un jeune homme justifie le titre et l’on entraperçoit la signature sur la toile de 1946 ; une autre signature de 1949 apparaît sur le carton fort. Des lettres AR, S, une cavalcade de chevalières et de carrioles, un hussard en grande pompe, l’épée au vent, ciné, 4, 5, le menu d’un souper donné à Jsmaïlia à l’occasion de l’inauguration du canal de Suez., une tête d’ingénieur en radio électricité. Aragon disait que le papier collé est une fin en soi, mais là on voit bien que les éléments rapportés de matériaux hors peinture, tels les papiers collés, ont une place définie et n’entrent pas en compétition avec la peinture. La peinture en en tant que telle réclame un apprentissage et un savoir-faire qui est l’apanage de l’artiste tandis que le collage est second, non pas secondaire mais second, du domaine de la mécanique, de la méca-esthétique comme dirait Isou.
Le portrait forme le centre de la toile, c’est un visage juxtaposé à un autre visage, comme si la personne tournait la tête au ralenti et l’œil avait fixé uniquement deux des images du mouvement. D’ailleurs, tous les personnages de la toile sont en mouvement, le Clemenceau redonnant confiance face à l’ennemi, pressé, qui annonce l’Armistice, le cheval cabré, la tête bouillonnante de radio électricité, alors que le portrait reste hiératique, à tel point que le temps a fini par égratigner la peinture au niveau de l’œil et de l’oreille et que l’artiste n’a pas retouchée.
Les Îles
Peinture à l’huile sur toile, collée sur carton fort, rehaussée d’acrylique. Collage d’un tube de peinture évidé sur la toile. Hauteur : 80 cm. Largeur : 60 cm. Signée Roberdhay en haut à gauche et datée : 1946. Au dos, le titre : Les Îles, Roberdhay 1946.
L’envie de voyage vers les îles porte l’artiste à les inscrire sur la toile pour mieux les visiter. A cette époque, c’était comme un rêve de voyager aux Îles, il fallait d’énormes efforts, avoir le goût d’un certain risque et être libre d’obligations incompressibles. De nos jours, le temps s’est accéléré avec le progrès technique et il en faut beaucoup moins pour atteindre n’importe quel point de la planète, sans parler des moyens financiers. Il vit son voyage vers les îles à travers la peinture, il les a vues dans les magazines illustrés, les reportages photos et cinématographiques, il voit cette indigène à la peau crue l’attendre sur leurs plages avec une fleur plantée dans la chevelure, il parcourt les mers sur le bateau amarré au fond de la crique là-bas.
Le titre est inscrit sur toute la toile, il participe au voyage de Roberdhay dans les îles : les îles de la Barbade, l’île de la Tortue, les Antilles, les îles sous le vent, les îles du vent, la Martinique, la Guyane. Les boucaniers, les corsaires là-bas, derrière la porte de la chambre d’hôtel repeinte avec une rose des Vents, des oiseaux qui inscrivent le mot vent, et des éblouissements de réverbération du soleil sur les embruns. Les îles, ce sont ces ronds de toutes les couleurs chatoyantes de la toile tout autour. Ces ronds ce sont les planètes dans le ciel comme des îles lumineuses qui brillent au lointain. Et le grand rond qui rassemble tout c’est la Terre, cet îlot minuscule qui repose sur quoi de rien, attaché à l’Univers, mais qui nous accueille chaleureusement et nous tranquillise, alors que nous devrions être saisis de terreur panique devant l’immensité des mers interstellaires.
Peindre la parole est un souci ancien, à l’origine de l’écriture. Les manuscrits, les écritures, la diffusion des images sont des moyens de fixer la parole libre. Il s’agit de fixer par des traits cette voix de la conscience, venue du Ciel, dont les civilisations ne peuvent pas se passer, à moins de disparaître, afin d’instaurer la lettre autographe, humaine, à la portée de l’humain. L’hégémonie de la lettre comme moyen de communication primitif et élémentaire a été inaugurée par l’homme pour la santé de son esprit. La peinture lettriste, la scripte peinture, l’hypergraphie sont autant de termes que les peintres lettriste utilisent pour exercer un métier qui est né avec l’homme : transmettre une tradition. Les Îles sont ces voix dispersées à travers le monde que la peinture de Roberdhay veut unifier sous nos yeux éberlués.
Les murs de la Ville
Peinture à l’huile sur toile, marouflée sur carton fort de dimension supérieure. Collages de coupures de journaux et de magazines, de bouts de ficelle et de fil de fer récupérés. Traces de fusain et de crayon. Coulis et jets de peinture. Hauteur : 80 cm. Largeur : 116 cm. Signée Roberdhay en bas à gauche et datée : 46/47. Au dos, le titre est écrit au fusain : Les murs de la Ville. Roberdhay 1947. Une explication de la démarche de l’artiste.
La toile a été grattée en plusieurs endroits de sa peinture, peut-être pour donner un effet écaillé d’anciens murs. De nombreuses inscriptions et graffiti ornent les murs de la Ville, comme des tatouages sur un membre vivant. En haut : Téléphone-lui lundi, votez pour, des lettres cursives en hébreu. Au milieu : à Lise pour la vie, Jean aime Rose, Chocolat Menier, un dessin à la Mirô avec Marie-Jo, un autre à la Niki de Saint-Phalle, des chiffres, des lettres, un type au chapeau qui apporte des fleurs, au crayon : vieille chouette, c’est chouette. En bas, au fusain : à louer. Voilà pour l’ambiance qui règne dans le quartier : c’est frais, c’est jeune, c’est vivant. Tout cela bouge autour d’une femme nue assise sur un pouf qui joue avec les bouts de ficelle et de fil de fer, nullement inquiète, plutôt boudeuse, et qui semble attendre quelqu’un ou le dénouement d’une situation. On voit un enfant qui joue avec une sarbacane. Des inscriptions en relief restent indescriptibles, à demi effacées, recouvertes de papier collé et d’autres inscriptions. Les hommes n’écrivent que depuis environ six mille ans, alors ils s’en donnent à cœur joie, comme pour essayer de combler le temps perdu : lettres manuscrites, tapées ou imprimées, circulaires, photocopies, sorties, d’imprimantes, prospectus, brochures, publicités, journaux, revues, magazines, livres, scénarios de télé, de cinéma, de théâtre. Le papier ne suffit plus, l’écriture envahit les murs de la Ville, le mobilier urbain, les véhicules publics, autobus, métros, trains, tramways, et même des banderoles dans les airs, tirées par des avions, des inscriptions nuageuses en blanc sur fond bleu du ciel.
Déjà l’esprit du temps veut que les imprimés affichent ces affirmations : imprimer sur papier recyclé, recyclable, à partir de bois de forêts plantées pour les besoins d’impression avec des arbres replantés pour cette noble cause. L’écriture nous triture, l’imprimé nous prime, la presse nous presse, la radio diffuse des lettres parlées, la télé des lettres vues et entendues, les supports électroniques des lettres virtuelles. La fin des alphabets et des idéogrammes n’est pas pour demain.
L’écriture est redécouverte par le Lettrisme, c’est un Art qui parle aux yeux éberlués et qui tinte aux oreilles tendues, qui signifie une acoustique de l’intellect, qui peint à la vue des merveilles ce que les sons de la parole peignent à l’esprit éveillé par l’entremise de l’ouïe claire et attentive, qui fixe par des signes convenus la voix fugitive, qui subsiste alors que ceux qui l’ont parlée et dont elle est l’ouvrage ont disparu. Cet Art des lettres perpétue les sciences et la communication des êtres, facilite la cybernétique et l’acquisition des connaissances passées pour perpétuer celles du temps présent et qu’elles serviront toutes ensemble à l’édifice immense qu’en feront les temps qui viennent en une pyramide dont le dernier là-haut qui y grimpera ouvrira la Porte qui accède à de nouveaux Cieux.
Les vagues de la mer
Peinture à l’huile sur toile, collée sur carton fort. Hauteur : 60 cm. Largeur : 80 cm. Signée Roberdhay en haut à droite et datée : 46-47.
Le titre est inscrit au-dessus de la signature mais aussi sur toute la toile, il participe à la toile, le titre c’est la toile elle-même ou bien la toile c’est le titre lui-même. Il est aussi extrapolé à d’autres idées : les vagues de la mer, les vagues de la vie, où naît la beauté, où naît la vie. Les mots dessinés à la peinture qui reviennent à répétition comme un leitmotiv imprègnent l’atmosphère de vagues incessantes aux franges mousseuses qui roulent du fin fond de la mer jusqu’à nos pieds. La mer, la vie, la beauté et la femme : que désirer de plus ? Désirer posséder une toile de Roberdhay qui peint tout en écrivant et qui écrit tout en peignant ! Or nous ne voyons aucun dessin de vagues de la mer ou de la vie ou de la beauté si ce n’est des graphies de ces mêmes mots, imbriquées les unes aux autres. La mer, la vie, la beauté sont leurs lettres elles-mêmes dans la peinture lettriste hypergraphique de Roberdhay. L’artiste est créateur tout comme lire est aussi créer. Face aux lettres, aux mots, aux livres, le lecteur soliloque, il butine l’auteur et il distille son propre miel : il crée son monde. Chez Roberdhay, la peinture ne se voit plus, elle se lit et le lecteur lit la peinture et crée lui-même ses vagues, sa mer, sa vie, sa beauté ; elles ne lui sont plus des idées vagues et désincarnées mais des notions personnelles, intimes, qui lui disent quelque chose. La beauté semble pourtant être représentée par la silhouette d’une femme qui se cache dans les lettres de la beauté. Est-ce la femme qui fait la beauté ou bien les lettres qui peuvent décrire et communiquer la beauté ? En tout cas, la femme se laisse séduire par des mots et elle se rend accessible aux charmes du beau parleur de lettres, est-ce le cas de la beauté, de la vie, de la mer ? Thérapeutique bien connue : une fois les mots alignés et la peinture aboutie, on se trouve allégé, délesté, libre. C’est la rédemption par la plume, la délivrance par le pinceau, la libération par le crayon et cela est préférable à d’autres moyens comme le revolver, le cigare ou les blagues sarcastiques, bien que le résultat soit le même. Serait-ce là la beauté de la peinture lettriste ? De plus la durée de vie des œuvres d’un peintre est plus grande que sa vie elle-même : c’est une façon de se voir vivre après la vie, une once d’éternité.
Toutes ces lettres, toutes ces graphies apportent leurs alluvions sur les rebords de la toile comme les rouleaux des vagues de la mer échoués sur les plages de notre coeur où bat la vie. Mais l’image est exigée et la collectivité est concernée, il en va de ses intérêts de voir que l’on peut faire de l’art sans taper dans le figuratif grandiloquent ou l’abstrait racoleur, genre « docu » sur fond paysages, des criques ou d’alpages.
Marché persan
Peinture à l’huile sur toile contrecollée sur carton fort. Collages de coupures de magazines. Hauteur : 72 cm. Largeur : 54 cm Signée Roberdhay en bas à droite et datée : 46. Au verso, le titre est inscrit au fusain noir, signé Roberdhay et daté 1946.
Comme toute peinture lettriste de Roberdhay de cette époque le titre aurait du être le sujet même de la toile mais les lettres du titre sont ici sagement disposées en fond et c’est la danseuse qui attire notre regard malgré la profusion des couleurs alentour. Elle se contorsionne au diapason des lettres du titre de la toile qui, en fin de compte, l’accompagnent. Mais la toile est abondance, des arabesques à peine ébauchées en remplissent la surface. Des mots encore, découpés de magazines et collés à même la peinture : Negrita, fleur, roi, point d’exclamation, e, havus. Les épaisseurs de peinture, à sa sortie directe du tube sans autre intermédiaire, se croisent entre elles et dessinent aussi, massivement, des lettres illisibles. Les tons sont chauds et l’ambiance torride, la musique langoureuse et entêtante, les odeurs d’épices lourdes emplissent les rues du souk déserté. L’aube pointe au loin sur le désert, le soleil va bientôt écraser de ses protubérances toute vie. Le muezzin entonne la prière du matin. L’air vibre, la ville bruissera des étals riches de marchandises et des cris des jeunes enfants à la recherche d’une quelconque occupation ou d’un sucre d’orge. Avez-vous lu le Marché persan ? Marco Polo en a rapporté les précieuses épices en Europe.
Ouverture vers un nouveau devenir
Peinture à l’huile sur carton à l’origine, marouflée sur une toile de dimension supérieure, rehaussée d’acrylique. Collages de pinceaux de l’artiste, de clichés d’imprimerie en zinc, d’un tube de peinture évidé sur la toile et des bouchons de ces mêmes tubes, en métal, d’une coupure de journal. Puis montage sur trois cadres en bois de différentes grandeurs, peints eux-mêmes et collés de dessins à l’encre d’imprimerie. Hauteur : 88 cms. Largeur : 132 cms. Signée Roberdhay en bas à gauche sur la première toile et datée : 1946. Au verso, on distingue un montage avec des baguettes de bois et à gauche figure le titre : Ouverture vers un nouveau devenir. Signature à nouveau : Roberdhay, La Scripte, 1947. C’est-à-dire qu’il s’agit de la Scripte peinture, et c’est ainsi que Roberdhay a nommé son Lettrisme. Puis une mention au milieu du montage : 1947, toile exposée à la librairie La Porte Latine en 1947. A droite, une information : Pub. dans « Arts »/Beaux Arts. Opéra. Quatre et Trois et la télé. Roberdhay 1947.
Une peinture à l’huile où figure les mots : Les Arts, Arts avec pour A majuscule une Tour Eiffel. On voit le mot Versailles, car dans la coupure de journal, redessinée dans un livre dont on voit l’épaisseur, on relate que le roi Louis XIV félicite, à la tête de l’armée, ses vainqueurs. Le rapprochement n’est pas si lointain entre Louis, Roi Soleil et Paris, Ville-Lumière, en passant par Versailles. Une exposition du Festival d’Avant-Garde de la Porte de Versailles a montré la plastique pyrique et des compositions constituées par des objets de la vie quotidienne en 1962. Une grande palette de couleurs prend de l’importance, au milieu, avec des pinceaux collés, l’un avec de la peinture rouge sur ses poils et un autre avec du noir et du bleu. Puis trois autres pinceaux sont posés sur la baguette inférieure qui forme le cadre de la première toile, où est collé le carton de la peinture d’origine. Celle-là porte la date 1946 en noir puis 46 en grand en rouge au contour noir et c’est l’un des pieds travaillé en ferronnerie de la Tour Eiffel et qui barre aussi la palette de l’artiste.
Un deuxième montage de baguettes forme le deuxième cadre et comporte un dessin à l’encre noire d’imprimerie. Un troisième montage fini l’ensemble dans un pourtour qui, lui aussi, comporte un dessin à l’encre noire d’imprimerie ainsi que le collage de deux bandes de papier cartonné noir. L’ensemble est réuni par de grands ronds noirs tirés à la ficelle comme un immense compas tout autour dont le centre est justement la palette de peinture. Il s’agit bien d’une œuvre lettriste où le mot « arts » est décliné sur plusieurs registres et fait réminiscence à des expériences antérieures de l’artiste, des souvenirs de promenades artistiques dans le dessin des lettres et des mots, des images de Paris et des graphismes de bijoux, tel ce bracelet en or qui barre toute la toile par en haut et qui rappelle que Roberdhay fut un temps bijoutier-joaillier, créateur de bijoux en or. Par ailleurs, il y a une sorte d’amalgame entre les mots arts et Paris ; et le jeu des lettres favorisent l’identification des mots et de la réalité. Les collages de coupures de journaux et les dessins à l’encre noire d’imprimerie renforcent l’impression d’être en présence d’art brut informel, le Lettrisme, où la lettre est la particule indifférenciée de l’écriture et de la matière picturale. Ce qui donne un nouvel élément de représentation où fusionnent de nombreuses disciplines telles que la poésie, la peinture, l’écriture, le dessin et autres moyens de communication, ainsi que des artisanats tels que la menuiserie, l’imprimerie, le cartonnage, etc., ou bien des industries telles que la métallurgies, le journalisme, la papeterie, la fabrique des colles, des peintures, des pigments, du mobilier urbain, etc.
Pêle-mêle
Peinture monochrome à l’huile sur papier vélin supérieur marouflé sur toile. Traces de café. Hauteur : 60 cm. Largeur : 81 cm. Signée au crayon noir HB : Roberdhay en bas à droite, datée 1946. Le titre est inscrit à gauche : Pêle-mêle.
La danse effrénée des lettres dans un tourbillon indiscipliné donne l’effet pêle-mêle. L’encre noire d’imprimerie a été choisie pour réaliser cette peinture monochrome car elle ne tache pas sur le papier tandis que la peinture à l’huile classique tache le papier d’auréoles au contour des lettres. L’aquarelle a été très rarement utilisée par Roberdhay qui préférait la peinture à l’huile, certes grasse et charnue mais qui a reçue ses lettres de noblesse depuis fort longtemps. L’acrylique est un media moderne qu’il utilise une fois la peinture à l’huile bien sèche, car, on le sait, il est impossible de mélanger l’une à base d’huile et l’autre à base d’eau, mais les polymères de l’acrylique semblent bien coller partout. Le choix du caractère est un Times Romain, un Bodoni ou un Garamond. Mais toutes les lettres de l’alphabet n’ont pas été employées et l’on aperçoit des R, des O, des E, des S, des Y qui ont été plus ou moins saturés afin de rendre la profondeur et l’épaisseur.
L’artiste cherche inlassablement le lien entre le visible et le non visible, l’art se situant entre nature et culture, entre la matière travaillée et le subconscient universel, dans une forme de minimalisme du premier degré, ou de naturalisme conceptualisé, les mots ayant toujours un train de retard sur la force qui se dégage des lettres, force d’une énergie fossile. De plus, qu’importe la terminologie, qu’il s’agisse d’art brut, de lettrisme ou de pêle-mêlisme, puisque l’artiste revendique uniquement que l’on reconnaisse qu’il est une personne. Ni artiste, ni auteur, ni créateur, mais une personne qui construit toute sa vie autour de soi quelque chose que l’on est bien obligé de qualifier d’oeuvre d’art.
Poussières du Temps
Collage de coupures de journaux lacérées sur toile. Inscriptions et traits au fusain noir. Hauteur : 65 cm. Largeur : 54 cm. Signée Roberdhay en bas à droite et datée : 46. Au verso, le titre est marqué au fusain noir : Poussières du Temps, signature Roberdhay et date : 1946.
Des coupures de journaux ont été collées au centre de bandes de journaux différents collées au pourtour. Le thème des journaux au pourtour est plus sérieux et « cérébral » que ceux, plus légers et triviaux du centre. On y voit une citation de Kant et une autre de Bergson, alors qu’au centre, c’est la danse et les cabarets. Les coupures du centre sont lacérées et déchirées de telle façon qu’apparaît la silhouette d’une femme en fond de papier non imprimé, comme une ombre chinoise beige foncée, inopinément ou délibérément. Le titre « Poussières du temps » est décomposé de haut en bas et forme la chevelure de la dame qui tient sa main sur la hanche, fière et hautaine. Les bandes tout autour et le centre sont délimités par des traits tirés au fusain et le tout est barré depuis les quatre coins de la toile. Le trait supérieur, trop prononcé, a déchiqueté le papier collé. Le titre apparaît aussi en caractères d’imprimerie à partir d’un collage en bas à droite, à côté de la signature.
Quoi de plus ancien que le journal d’hier ? Hier, cette poussière de temps. Journaux lacérés, poussières de papier, poussières de forêts coupées, transformées en poussière pour faire du papier. Et cette femme suggérée en négatif dans le papier n’est-ce pas l’amour romantique qui n’a fait qu’un temps face à l’amour éternel qui est le vrai sujet de la toile ? Il se dégage plus que du charme dans cette œuvre sans peinture, plus que de la nostalgie, mais de la force. En effet, toutes les poussières du temps ne forment-elles pas le Temps lui-même, dans une sorte de continuité des événements qui se succèdent et surtout des vies qui doivent être continuées. Ces collages de journaux, c’est se replacer comme événement dans cette continuité. Et c’est là l’Histoire (le carré délimité tout autour). Les événements journalistiques la jalonnent mais pas en tant que grumeaux opaques, débris épars, pierres disséminées, poussières collées. Ils sont signes ou étapes. Et ce serait la Fidélité, celle de l’homme et celle de Dieu liées par l’Alliance (les traits croisés), qui permettrait de passer l’intervalle, d’une rive à l’autre, de combler le vide et l’oubli entre les « signes » et les étapes, les bribes lettristes, entre les événements de l’Histoire. Ce qui traverse le temps serait une sorte de mémoire que possède l’artiste au travers de son œuvre.
Sahara
Peinture à l’huile sur carton fort. Collages de papiers et d’une photo de magazine. Hauteur : 73 cm. Largeur : 77 cm. Signée Roberdhay en bas à droite et datée : 1946
Bien que le titre figure, à l’envers, au centre de la toile et forme le tableau, qu’il soit répété au moins encore deux fois, à l’endroit, un autre titre, en haut à droite, est marqué, ou plutôt gravé dans la toile, au crayon noir : Ballons multicolores, signé Roberdhay et daté : 1947. Chaleur torride du désert, soleils écrasants et soif inextinguible sont les ballons multicolores quand la déshydratation s’installe, ou que l’on se tient trop longtemps la tête à l’envers et les pieds en l’air, que le sang lourd remonte à la tête. Au dessous du titre Sahara, à l’envers, une danseuse du ventre, à l’endroit, rajoute à l’atmosphère surchargée des parfums orientaux, des couleurs étincelantes et de l’heure qui passe, accablante de lenteur, des mots lourds de sens, de science et de conscience. Au verso, un court poème, ou bien un nouveau titre est inscrit au fusain noir : La caravane des lettres, des Mots, Mirages, Voyages immobiles, signature Roberdhay et date 1947. Comme toute peinture lettriste de Roberdhay de cette époque le titre c’est la toile, à la manière de la célèbre maxime : l’homme c’est le style. Pourquoi le titre est-il à l’envers ? Parce que c’est la caravane des mots qui était déjà passée par là et qui rebrousse son chemin dans un va-et-vient incessant au désert de la littérature. Caravane des mots, Voyages immobiles, Mots mirages : c’est l’art de cultiver les contraires : l’antonymie. Tant est que le désert est plein du tout.
Mais au désert, dans ces steppes arides, aux oasis rares et aux paysages brûlés par les soleils de toutes les couleurs, au fur et à mesure des saisons, la solitude volontaire est une sœur recherchée. Traqué par les tracas de la vie, le désert s’ouvre simplement comme un refuge ou un abri, devant l’artiste proscrit, l’homme trahi par les contingences de la civilisation ravageuse et boulimique. Le Sahara nous interpelle, comme tout désert, lieu de solitude, de réflexion, du silence, de l’oubli, espace sacré, réserve naturelle, indomptable, où les fruits sont rares et maigres mais satisfont la faim ; les sources encore plus rares et l’eau précieuse, plus que l’or et les biens de ce monde, mais étanchent la soif. Plus on pousse loin dans le désert, plus le calme naît dans la conscience effarouchée. Bientôt, le renoncement s’impose, dans une sorte d’ascèse, dans l’indigence, dans la solitude satisfaite. Les doigts ont envie de toucher les reliefs du désert, les dessins des dunes au gré des vents chauds, les épaisseurs de peinture de la toile.
Et le soir autour du feu aux flammes pauvres et dansantes, la compagne de toujours est là, lointaine et proche, aimable et aimante ; la rencontre des moissons intérieures, aux grandes ouvertures de l’Esprit est la situation propice à l’art. L’artiste est l’appelé, en puissance de vocation, au grand dialogue mystique.
Solitude du « je »
Peinture à l’huile sur papier et déchirée en deux, puis les deux parties sont collées avec un espace, comme un éclair, sur du papier bleu, blanc et rouge de dimension supérieure, marouflée sur toile. Hauteur : 61 cm. Largeur : 46 cm. Signée Roberdhay en haut à droite et datée : 1946. Au verso, le titre inscrit au fusain noir : Solitude déchirée, le mot ‘déchirée’ est raturé et remplacé par ‘du je’. Puis la signature et la date : Roberdhay 1946, avec la remarque ‘absolument’ elle aussi raturée. Par en-dessous entre parenthèses (du jeu ?…) (quel jeu ?…).
Le titre apparaît dans un mot décliné vers le haut et sur la ligne d’horizon ; en-dessous la mention du « je ». La première toile a été fendue en deux : la solitude existe, elle déchire l’être humain mais il n’appartient qu’à lui de déchirer sa solitude et de recoller les morceaux pour accéder à un lendemain qui chante. En tant que « je » l’égoïsme m’étouffe et je me définis pourtant comme un être social qui communique à autrui,. Un être vivant parlant disant quelque chose qui se préoccupe d’un autre que son « je », que son jeu personnel; Il faut cesser de jouer avec son narcissisme pour accéder à autre que soi et déchirer sa solitude. D’autre part, il vaut mieux un être déchiré mais rempli de modestie plutôt qu’un être toujours imbu de son moi orgueilleux qui le brouille, loin de toute société humaine.
La réalité du monde a été créée par une déchirure qui suscite les rivalités entre l’homme et son prochain, entre l’homme et sa femme, entre les peuples, les classes; des rivalités d’ordre émotionnel, des rivalités de disciplines etc. sans fin. C’est le monde de la séparation, du désordre et du pêle-mêle. Mais cette déchirure est aussi à la base du dialogue qui permet de recoller les morceaux. Or, le « je » ne peut être lui-même que s’il est seul, et sa solitude fait son malheur, en manque de relations sociales pour rétablir une confiance absolue entre les parties antagonistes. La toile montre combien la recherche exacerbée du « je » n’est qu’un jeu sans conséquence pour l’amélioration de la personne humaine. La grande réconciliation des nations entre elles, des classes sociales, de ce monde-ci avec le monde de l’esprit commence par la capacité d’aller vers l’autre en sortant du « je ». Décider ensemble présuppose une capacité de dialogue qui sied bien à l’homme de moralité qu’est l’artiste dans son geste de création, et au-delà, de tous les hommes dignes de ce nom. L’amour est l’union de deux êtres capables d’entraide réciproque et mutuelle, à tous les échelons.
Finalement c’est la déchirure qui enclenche l’union puisque les deux parties séparées n’ont qu’un seul but ultime : de recoller les morceaux, ce qui débouchera sur une union encore plus intense. Dok, dok dok ! Voilà l’Autre qui frappe à la porte, la solitude elle-aussi est brisée, et l’amour est provoqué : mon amie se tient dans les jardins, je suis tout oreilles pour écouter ta voix : laisse-moi l’entendre. Viens mon bien-aimé, même si tu es comme le chevreuil ou le faon des biches qui se retire et réapparaît sur les montagnes embaumées.
Toujours Elles
Peinture à l’huile sur pages de magazines collées entre elles, marouflée sur toile. Collages de coupures de magazines, de journaux. Hauteur : 85 cm. Largeur : 65 cm. Signée Roberdhay au milieu à droite et datée : 46-47.
Le sujet c’est la femme, toujours elles et c’est aussi le titre du tableau. C’est pour elles que nous travaillons, que nous semons et labourons, que nous nous habillons et achetons des chapeaux « Amiral », que nous construisons et c’est avec elles que nous acquérons notre ticket d’entrée au premier des jardins : Le Paradis Terrestre. Des ronds barrés d’une croix au crayon noir unissent la toile. Un autre rond en dentelle de papier rappelle qu’une grande tarte ou un grand gâteau a été consommé. Mais les textes des pages collées ainsi que les lettres qui les habitent n’ont aucun rapport avec le sujet, elles sont comme support du drame, tout comme la coupure du journal découpé en forme de femme, contrecollée sur les pages du fond. On voit pouvoir ouvrir une bonne bouteille de Champagne !
L’artiste s’est servi des feuilles de magazines et de journaux pour les juxtaposer, de façon que ces couches s’annihilent et se découvrent réciproquement, selon sa propre volonté et selon une disposition concertée. La peinture rassemble le tout, sans pour autant qu’elle soit utilisée pour sa propre présence ou pour une fin en soi. Si bien qu’en conclusion ni les mots, ni les lettres, ni la peinture ne peuvent finalement décrire le sujet de la toile : les femmes sont indescriptibles par quelques moyens de communication que se soit.
Un bel outil … Madame !
Peinture à l’huile et acrylique sur papier vélin toilé, marouflée sur toile. Collage de coupures de magazines, de journaux, d’une feuille de couleur rouge, de papier peint, de la photo d’un tournevis à manche en plastique et d’un tournevis à manche de bois vissé par derrière, de clous, d’une gravure ancienne rehaussée de gouache. Hauteur : 54 cm. Largeur : 81 cm. Signée Roberdhay à droite et datée : 46.
On pourrait croire que le sujet de la toile est le tournevis qui peut aider toute femme à visser son homme, mais là s’arrête le symbolisme phallique. Le tournevis à manche de bois a beaucoup servi et on a peine à croire que c’est une femme qui l’a manié. Mais non ! c’est l’homme qui s’en est servi pour elle, à son service ! Il a tapé dessus, il s’en servi aussi comme d’un levier à tel point qu’il l’a tordu. Le sujet, en vérité, c’est encore la femme, tant est qu’elle se marie avec son homme parce qu’il sait, en plus et malgré tout, se servir d’un tournevis, d’un marteau pour les clous et d’une pince pour ouvrir le fer à repasser ou le lavabo bouché, à moins que ce ne soit pour dégoupiller une bouteille de vin vieux dont le bouchon s’est escamoté à l’intérieur du goulot. Les lettres, les mots, les articles du journal ne sont en rien explicatifs du sujet, ils ne font que supporter la toile si ce n’est les deux lignes explicatives de la Grisette qui se fait courtiser, dans la gravure en plusieurs morceaux, par un galant homme. Inversement, le sujet n’explique en rien le choix des coupures de journaux et du choix des lettres ou des objets collés. Pourtant, il faut avouer qu’un bien bel outil est un outil qui a beaucoup servi…oui Madame !
Vision crépusculaire
Peinture à l’huile sur toile, contrecollée sur papier vélin de dimension supérieure et marouflée sur toile. Jets de peinture. Hauteur : 73 cm. Largeur : 92 cm. Signée deux fois Roberdhay en bas à droite et datée : 1946. Au dos, un carton fort a été glissé dans le cadre avec des inscriptions : « Vision crépusculaire 1946 », « Allons de nos voix et de nos luths d’ivoire réveiller les esprits » Ronsard… Roberdhay 1946. « Do’kha » : « L’insolite même à bout portant », Do’kha : pelote (en judéo-arabe).
En haut à gauche, le début du titre : Vision, en dessous : Pan ! Pan ! La citation de Ronsard entre parenthèses. Le titre apparaît plusieurs fois dans la toile, de ces lettres qui composent la toile comme des papillons ou des danseuses, des pierres taillées posées à même le sol ou détachées des ruines, des êtres rampant sur leur ventre ou des oiseaux dessinant des arabesques dans l’air. Un homme emporte une femme : serait-ce l’enlèvement des Sabines ? Est-ce Saül de la Tribu de Benjamin qui enlève sa future femme du rond de la danse ? Tout porte à croire qu’elle y était consentante et ce serait elle qui l’ait obligé à la prendre ! Voici un rappel de cet événement biblique (Juges, chapitres 19 à 21) et insolite : dans une sanglante guerre civile, après l’ignoble viol d’une concubine à Guivé’a, les Israélites tuèrent tous les Binyaminites, les jugeant collectivement fautifs, exceptés six cents hommes qui se réfugièrent sur les rebords escarpés d’une falaise où ils se cachèrent, la Roche de Rimon. Les Israélites avaient juré que nul d’entre eux ne donnerait sa fille en épousailles aux Binyaminites, à cause du viol dans leur tribu et de la guerre civile qui s’ensuivit où la population entière de la tribu de Binyamin fut passée au fil de l’épée. Regrettant la guerre civile et toute cette violence, les Israélites furent émus de la brèche qu’avait faite le Seigneur parmi les tribus d’Israël et ils s’affligèrent d’avoir retranché une tribu entière des leurs. Le serment avait été que les filles ne seraient pas données en mariage mais les Sages de l’époque ont trouvé le moyen de sauver la Tribu de Binyamin : les filles pourraient être prises, toute femme binyaminite ayant été exterminée. Sur le conseil des Anciens de la Communauté, les enfants de Benjamin agirent ainsi avec leur assentiment. Tous ceux qui n’avaient pas de femme lors de l’expédition contre eux purent enlever, pour les épouser, les femmes qui dansaient à la fête religieuse de Chilo. Les filles célibataires savaient donc à quoi s’en tenir et étaient parties danser consentantes. Les Sages dévoilèrent aux jeunes binyaminites repentis, tous honnêtes et droits, l’endroit secret où les filles dansaient et ils prirent là-bas un nombre de femmes égal au leur pour les épouser. Chacun repartit, selon sa tribu et sa famille, s’acheminant sur ses domaines. Saül était parmi eux le plus timide, pudique et juste. Il hésita longuement à agir de la sorte : kidnapper une fille même pour l’épouser, c’était hors de question pour lui ! Pourtant, c’était sans compter sur la détermination de sa future femme qui l’aperçut dans les fourrés, le débusqua et le força à l’emporter ! La pudeur de Saül, qui devint plus tard roi d’Israël, était sa force !
A droite de la toile, on distingue des jeunes femmes qui dansent au crépuscule du soir, comme les lettres qui semblent danser elles-aussi. Tout le monde danse à la fête et c’est comme si Dieu avait donné Son assentiment et dansait Lui-même lorsque les hommes Le louangent !