Robert ’Hay Amram, dit Roberdhay, est né le 2 février 1917 à Constantine, Algérie Française, au plus fort de la Grande Guerre 14-18 où son père Jacob Amram combattit et en revint gazé, ce qui lui valut le titre honorifique de Pupille de la Nation française. Il fait des études classiques et mathématiques à l’Ecole Française, parallèlement à des études religieuses ; ses maîtres l’initient à la logique du Talmud et aux textes de la grande Tradition hébraïque, la Cabale.

1932, premières toiles. Nommé soutien de famille après la mort de Jacob, tout jeune et de belle allure, il en impose par son charisme graphique. Pour la subsistance de la famille, il présente et propose ses créations à tous. Les menuisiers lui commandent des dessins de meubles de style inspiré Art-déco, les tailleurs des dessins de vêtements originaux, les Pompes Funèbres des sépultures de plusieurs sortes de pierres et de formes, ses amis proches des manuscrits de graphies cabalistiques sur parchemin, certaines personnalités des toiles de scènes bibliques.

Encouragé par un collectionneur, il peint à sa façon des thèmes selon Frans Hals, Delacroix et Boucher, des compositions personnelles, des œuvres de jeunesse : bouteilles, fleurs, nus, portraits, marines, pancartes, paysages, graphies à la gloire de Paris.

Paris, louangé à l’époque par le monde entier, est l’exemple digne d’humanité, capitale de l’Art où Roberdhay discerne à l’intérieur même des mots Paris et Art, ses propres initiales, celles de son nom : le a de Amram et le r de Roberdhay. Paris, Art, Amram Roberdhay, une même entité, une même personne à l’enseigne de leurs lettres, un principe d’identité qui revient en leitmotiv dans toute son œuvre.
1941-43, durant la Deuxième Guerre mondiale, Roberdhay est enrôlé dans l’armée française. Il est interné dans un camp discriminatoire, copie conforme des camps nazis, le camp de Bedeau à côté de Constantine. Les autorités de Vichy l’assignent dans une « unité de travail » à Bedeau où il partage le sort de milliers d’autres soldats juifs.
1945, Roberdhay peint une série d’huiles : les ‘Pancartes’, qui vont déjà au-delà de la simple description conventionnelle en créant le sujet par l’objet lui-même.

Après la guerre, poussé par la rage de vivre, Roberdhay s’installe à Paris et compose une centaine d’œuvres : fleurs, nus, portraits, chevaux, graphies-poèmes, figures bibliques, déposées à l’Hôtel du Commerce et disparues à ce jour.
1946, Roberdhay présente la peinture ‘Scripte’ ; des séries : les Scripte-Peintures. Graphies, Poèmes-objets, Citations calligraphiées, où se mêlent mots, lettres et poèmes. Il rencontre Isidore Isou et le Groupe Lettriste dans une exposition à la Librairie-Galerie La Porte Latine. Ils fondent le mouvement lettriste.

Selon Maurice Lemaître, peintre, historien et théoricien du mouvement, il est le premier peintre à exposer des toiles lettristes au Premier Salon des Surindépendants. La revue ‘Arts’ le distingue. Il expose en permanence à la Librairie-Galerie ‘La Porte Latine’. A la suite d’une interview, sa toile lettriste ‘La Clé des Champs’ est reproduite dans l’hebdomadaire Quatre et Trois.
1947, au printemps, marchant sur les quais de la Seine, un vieux dictionnaire capte son attention. Les mots lui font la conversation. Il crée la série le ‘Dictionnaire étalé’ : collages et peinture, techniques mixtes sur vingt-six pages du dico de A jusqu’à Z, en passant par la médiane M.

1947-48, série de peintures ‘Lettrines et ex-libris’ qui exprime l’apparition à leur origine des lettres, non encore formées, qui créent le mot par assemblage.

Roberdhay dit : « Si au commencement, notre Créateur créa le Logos, le Verbe, c’est qu’Il disposait déjà, dans sa réflexion intérieure, d’un dire composé de lettres. La Lettre précède le Verbe, jusqu’à ce que Dieu le fasse apparaître, grâce à la déclinaison des lettres, à l’infini. Au commencement est donc la Lettre, mais elle n’est pas portée à la connaissance directe, si ce n’est par l’extériorité des mots, et les lettres en sont l’intériorité. Et si notre Créateur s’est exprimé dans la langue de sainteté de la Bible, qui est l’hébreu, pour créer Son monde, cela n’a pas fait obstacle à nos anciens Sages de traduire l’hébreu de la Bible dans toutes les langues, le grec des Septante, puis le latin, l’arabe littéraire et enfin le français, celui-là même qui me sert dans mon œuvre. Il s’agit d’un geste de pure bonté, d’un acte de grande charité de la part de notre Seigneur quand Il débute la création par des mots, car s’Il l’avait créé par des lettres, ce monde qui est le nôtre aurait été sans cesse un tohu-bohu, un chaos indescriptible pour nous, un pêle-mêle vertigineux sans aucune possibilité d’organisation de notre part. Tandis que les mots de la Bible sont un parti-pris d’optimisme puisqu’ils sont portés à notre connaissance et tout notre métier d’homme est de découvrir tous les sens des mots formés par des lettres. Tous les jours de nouveaux mots sont créés, selon les découvertes, mais ils sont toujours composés des mêmes lettres ; on n’invente pas des lettres tous les jours. Le lettrisme est alors un phénomène en soi, depuis la nuit des temps, et les mots en sont la grammaire. Le lettrisme actuel, bien qu’étant un fait pictural récent, nous renvoie à une conscience des origines, à la virginité de tous les commencements, à une préhistoire de la connaissance, à un projet divin antique pour la promotion de l’humanité. » Tout un programme !
1948, en hiver, Roberdhay rencontre au domicile de la comtesse L. de F. un ami médecin qui lui interdit de peindre car il diagnostique un début de paralysie faciale due aux métaux, aux pigments ou aux diluants de la peinture, surtout le blanc de zinc et le plomb.

Pour rejoindre son domicile, en passant devant la photogravure de l’Humanité, rue du faubourg Poissonnière, un ouvrier jette à la poubelle un tas de feuilles de papier-journal teintes en Bleu-Blanc-Rouge national. Il s’empresse de récupérer les feuilles et crée la série BBR : collages et assemblages de déchirures, lacérations et bouts de feuilles découpées à la main ou à la lame de rasoir. « BBR, c’est frais, c’est BB jeune, c’est BB bon pour la santé et cela ne ruine pas R Roberdhay en fournitures d’art d’air d’R ». Il ne cesse de dessiner à l’encre d’imprimerie noire, bleue, rouge, à l’encre de Chine, tamponnages, calligraphies, poèmes lettristes, empreintes, jets, coulis, interventions par gouache, crachins, sur des sujets allant des scènes bibliques aux nus de femmes, en passant par tous les mythes et les mystiques, « mais tout n’est-il pas biblique ?! » s’écrit-il.
1949, Roberdhay laisse de côté les feuilles teintes et la passion de peindre le submerge. Série les ‘Paraphes habités’ : combinaisons de personnages, habitants des mots, tant de mots, résidents des lettres, dents de lettres, dent dans la mâchoire à Jean, animaux des mots, mots-maux de tête, et paysages sages comme des images, mais pas tant que ça.

Rappelé par les siens, il se marie et s’installe artisan bijoutier-joaillier. La banque lui fait confiance et lui prête. Il crée surtout des bijoux en or fabriqués main, chaînes imbriquées, bracelets-serpents, bracelets rehaussés de perles, anneaux, plaques serties, très prisés par les publics français, israélite et indigène.
Un fils naît, du nom de Françis Jacob, tant est que depuis le décret Crémieux en 1870 les Juifs d’Algérie, affranchis Français, si l’on peut s’exprimer ainsi, se trouvent bien obligés, par politesse, par opportunisme, par idéal ou par amour véritable et sincère de la Métropole, la doulce France pays de mon enfance, de donner à leur progéniture aussi des prénoms gaulois. Malheureusement, cet enfant du premier amour magnifique décède d’une pneumonie.
1950, pour se refaire le moral, il peint une série d’huiles : les ‘Fenêtres’ où les dessins à l’encre noire d’imprimerie sont intégrés dans des paysages de plus en plus abstraits, accompagnés de graphies, prononcées ou non, et des personnages.

Naissance de son fils Michel, véritable don du Ciel qui lui éclaire la perspective, chasse le mauvais esprit suscité par le Seigneur, et désormais tout lui réussit, dit-il.
1951, peintures ‘Plages Poussières et brins de rien’. La matière, la poussière, le plâtre, le ciment, le sable sont le substrat des peintures à l’huile où se mêlent de bric et de broc différents éléments recueillis dans l’entourage immédiat de son atelier, hic et nunc, et créent l’œuvre à partir de ce rien qui est déjà trop.

1952, peintures ‘Méiose et Mitose’ : division et décroissance des cellules picturales en perte de chromosomes dans
les cellules filles et maintien sans perte aucune dans la cellule vivante mère qui reste intacte dans le geste créateur.

Peintures ‘Signes spontanés’, expositions particulières.
1953, série ‘Géométrie’ : géométries asymétriques et libres de sens, de forme et de couleurs qui se perdent dans la perspective et se retrouvent régénérées par des jets directs de peintures, par des collages de dessins abstraits où le spectateur devient acteur, essayant de deviner des formes. Se dégage alors une signification du vouloir de la vérité et du pouvoir de la réalité. Curieusement, la lettre, la graphie, le mot disparaissent à ce niveau ou alors ils sont bien présents, décrits dans le rond, le carré, le triangle, la ligne, le point, l’empâtement du trait, les collages, créant ainsi une phénoménologie du patent et du latent, de l’objet et de la conscience présente à elle-même, au-delà de l’expérience logique d’Edmund Husserl.

1955-56, série de ‘Paysages silencieux’, abstractions lyriques ou abruptes, où l’on discerne des animaux, des personnages enveloppés ou contournés, des assemblées de personnes se dirigeant vers un but qui les attend.
1956, retour à Paris avec sa famille. Toiles en permanence sur les cimaises Le Galion. Création d’imprimés pour des clients prestigieux. Parution des Cahiers du Lettrisme et de l’esthapeirisme. Expositions personnelles et en groupes.
1957-58, série ‘Soyons sérieux’, comme les nus notre être est mis à nu, les mots enveloppent les lettres, les mots sont les habits des lettres, les lettres sont l’être des mots. Lettre l’être du mot-murmure, du mot-grognement. Indication : en latin muttum, le grognement, qui a donné en français mot, n’est pas éloigné de mutus, muet, qui n’a pas l’usage de la parole. Le silence est d’or, dors mon enfant, tout est calme et tranquille !

Série les ‘Ronds’, tout est circulaire, la toile de l’artiste est inscrite dans le rond, le carré est déterminé par les catégories du Rond. L’artiste est le vecteur entre le personnel de son âme et l’impersonnel de la nature.

1961, série ‘Coagulations’, les encres d’imprimerie, les vernis, le sang, le lait, tout sèche et coagule. La perte de substance de l’un permet la coagulation de l’autre. Le ventre bien rond de la femme enceinte, la parturiente, est une merveille mais il disparaît dans la platitude et tout se coagule dans l’enfant encore plus merveilleux.
Le tube de peinture est bien rond et rempli mais il se rétrécit et se vide pour créer la toile pleine de toutes les coagulations, de toutes les formes et les couleurs. On peut même coaguler la toile avec le tube vidé sur sa propre peinture et même s’il tombe sur la palette de l’artiste, qu’il se coagule là-bas ! Sur la toile, on pourra toujours coaguler son bouchon.
1962-63, série ‘Pages de Livres’, collages de journaux et peintures. Le livre est l’attachement des cahiers cousus. Tout monte à l’unisson dans les cahiers cousus d’un unique livre. Dans les livres, nous trouvons des lettres, des mots, des phrases, des paroles écrites et tout ce monde fourmille et forme le Livre du sujet des mondes.
1963 Exposition ‘La Lettre et le Signe dans la peinture contemporaine’ à la Galerie Valérie Schmidt. Galerie Connaître. Salons : Comparaisons, Art Sacré, Hall T.W.A Champs-Elysées.

1964, ‘Lettrisme et Hypergraphie’ dernière exposition avec les lettristes à la Galerie Stadler.

Il crée le Pêle-Mêlisme. Tout se tient, le désordre indique le sacré, le multiple indique l’unité absolue du tout. Rimbaud finit par trouver sacré le désordre de son esprit, attestant le sacré de la vie quotidienne, à la vitalité de l’instant. C’est ça. Tout se tient et nous tient. Tout est mu par le vivant. La vivante est partout, dans les infimes éléments de l’atome comme dans la gravitation universelle. Dans le téton maternelle comme dans la Voie Lactée.

Le pêle-mêle flagrant se montre partout et indique l’unité du tout. Et l’unité des valeurs indique la beauté, la sainteté.
1972, parution du BibliOpus ‘Lettrisme et Hypergraphie’ aux Editions Georges Fall, où il est écrit : « Le style de Roberdhay se caractérise par ses inscriptions de mots, de lettres et de signes, qui s’organisent en une syntaxe sauvage portée par un geste en continuel ébrouement. Il semblerait qu’un vent de tempête, qu’une pluie de neige, fait sans cesse tourbillonner, se heurter, surgir, puis s’effacer dans la pâte, les elzévirs, les didots, les ‘mais’ et les ‘antans’ qu’il s’est choisi dans la totalité hypergraphique. Il est le premier artiste à présenter des toiles lettristes en 1946. »
1973-80, Roberdhay expose en permanence à la Galerie des Trois-Rives, rue de l’Odéon : série ‘Les Dominos de…’, série pêle-mêle, abstractions lettro-lyriques, parutions de poèmes et d’écrits, du Manifeste Pêle-mêle. Visites d’Isidore Isou et d’amis lettristes, de critiques d‘art. Articles dans le mensuel Galerie jardin des arts, septembre, juin 77, octobre 78.

1981, dessins et écrits. Il reprend toutes ses œuvres et leur imprime la « griffe » pêle-mêle, avec interventions de peinture acrylique.
1993, en novembre, décès à Paris. Roberdhay est enterré à Jérusalem en Israël avec sa femme Odette